SIN CITY : Démesure et jeux à Las Vegas (Nuits 47 et 57; Kilomètre : 10502)

Abandonnée.

Ça fait maintenant une dizaine de jours que je suis parquée dans l’arrière cour d’un casino. Il fait tellement chaud que mon volant dégouline, et une fois la nuit tombée il s’en passe des choses ici. Je ne raconterai pas les énergumènes qui errent dans cette ville où il y a plus d’emplacement de parking que d’habitants. Je ne raconterai pas ceux que j’ai vu rentrer dans l’après-midi pour sortir au petit matin les yeux lourds de désillusion.

Il y a de quoi s’occuper à regarder cette foule déambuler, regarder ces portes de casino bousculées incessamment de jour comme de nuit. Mais vraiment, j’espère qu’ils ne m’ont pas oubliée pour les machines à sous. Ou pire qu’ils n’ont pas fui la ville car sans le sous. Ils m’auraient laissée en gage ? Du moment qu’ils reviennent, j’oublierai tout, même une infidélité pour une plus jeune et plus solide. Ils arrivent, en béquille (?!), et c’est reparti.

Tels des Alice au pays des merveilles, laissons nous guider par Vegas, son univers, ses médailles et leurs revers...

Il y a quelque chose de très glauque dans cette ville, et très fantasmagorique à la fois, comme un mauvais rêve qui ne s’arrêterait pas ou une gueule de bois qu’aucun paracétamol ne guérirait. Peu importe où vous serez, le divertissement sera là. Comme si nous ne pouvions rien faire d’autre que se divertir, ne jamais s’arrêter de se divertir. La journée est principalement occupée à décuver, ou compter le reste de cents qu’il reste au fond de sa poche.

Mais la nuit, les néons s’allument, les roues tournent et les machines sonnent de plus belle. Dans cette cité qui s’est délibérément tournée vers l’amusement, on peut acquérir ce que l’on veut pour quelques dollars : des filles, des mecs, de la drogue, de l’alcool, et même obtenir encore plus de dollars. On te fait miroiter à longueur de temps le gros lot à venir, les millions de dollars qui t’attendent bien patiemment. Pour ce faire, tu n’as qu’à actionner la manette, appuyer sur le bouton, ou bien choisir ton jeton. C’est si simple qu’on se prend au jeu. À vrai dire, l’argent est un peu dématérialisé, une carte (sur laquelle tu auras précédemment crédité une dizaine de dollars) te permet de jouer où tu veux. Bien sûr, chaque hôtel a son casino ou ses machines. Il est possible de jouer un peu partout : au restaurant en attendant son plat, à l’aéroport en attendant ses bagages, au bar en buvant son cocktail...il manquerait juste les toilettes et les trottoirs.

Les consommations sont abordables, très abordables, plus aucune règle n’existe une fois à l’intérieur, si ce n’est celle de jouer, parier, gagner ou perdre. Pour un peu on s’y perdrait. Les lumières flashantes et clignotantes mettent en éveil nos yeux, les tintement de pièces qui coulent à flot (on ne sait trop où) nous font saliver et les appels automatiques au jeu nous maintiennent en place si longtemps que la nuit n’existe plus. Une fois sortis, c’est le petit matin et on n’a pas l’impression d’avoir vu la nuit passer.

Nous n’avons pas perdu grand chose dans cette ville dont l’unique règle est d’honorer son nom de ville du péché. Quelques dollars. Certains y perdent leur foi, leur âme et leur esprit. D’autres leur corps. Quelques uns gagneront beaucoup. C’est la dure loi du jeu aux U.S.A. il faut que beaucoup perdent pour qu’une poignée gagne. Las Vegas cristallise à elle seule beaucoup de maux de la société occidentale.

Et malgré tout, il y a un sacré fun à arpenter ses rues. Comme des gamins assistant à leur premier spectacle de cirque, les yeux ébahis on assiste à cette démesure unique au monde. Et tout le monde participe, tout le monde semble s’être réunis pour un but commun : s’amuser. On peut même s’amuser à avoir la bouche en cul de poule sous la Tour Eiffel (bien recopiée), ou parler avec les mains à Venise (où les canaux ont deux centimètres de profondeur et sentent le chlore), ou même marcher de profil devant un Sphinx qui a encore son nez. Le monde entier a été inséré dans la ville la plus lumineuse au monde. Tellement brillante qu’on peut voir sa nuit depuis la lune.

À Las Vegas, les étoiles sont remplacées par des écrans pixellisés ou des néons aguichants. Il y a une telle démesure dans cette énorme ville qui a poussé au milieu du désert, une telle débauche, que l’enfant « qui joue à » doit bien être raisonné par l’adulte enfoui au fond du cerveau. Si on se perd ici où tout pousse à la déraison on risque de se retrouver déplumé.

Deux nuits suffiront, et sous une chaleur désertique nous quittons la Sin City, sains et saufs mais avec une troisième acolyte. Ce n’est pas Céline Dion mais Amélie, alors bienvenue à toi et en avant !