LOUISIANA : entre Acadie, Bayous et NOLA (Jours 68 à 71 ; Kilomètre : 15177)

Loin des highway insensées, on me fait pratiquer des routes sinueuses au travers des champs de coton, le soleil se couche et le Mississipi continue sa descente loin derrière nous maintenant. À travers l’éclat rosé du soir, on voit les champs de coton se transformer en plantations de canne à sucre. L’atmosphère prend des airs de lourdeur tropicale et il nous semble ne plus être totalement aux États-Unis...

Nous traversons ce pays depuis quelques temps et pourtant nous n’avons toujours pas pris conscience de la diversité de ses États, de leur Histoire, de ces Hommes et des liens qui les unissent avec le reste du monde. Du moins nous nous en rendons compte chaque jour, petit à petit, claque après claque. Ici on ne parle pas un anglais impérialiste, on ne parle plus non plus un français colonial, pas vraiment un espagnol royaliste et cette langue créole est parsemée de quelques vocables des Premières Nations ou des côtes de l’Afrique. On traverse l’Histoire du monde ici. Quelques siècles après les guerres fratricides entre une France et une Angleterre avides, sanguinaires, totalitaires prêtes à tous les génocides pour maîtriser la face du monde… nous voici en Louisiane.

Cette terre aux origines confuses où la fleur de Lys a pris graine pendant qu’on lui coupait la tête en France.  Ce territoire plat où l’eau se mélange à la terre et où le vent tropical est inondé de soleil. Ce pays passé entre de si nombreuses mains (espagnols, français, anglais, américains) qu’il ne peut plus être possédé que par ses habitants maintenant. Que par les créoles qui ont apprivoisé un paysage mystérieux, effrayant où règnent alligators et moustiques voraces.  

Première halte louisianaise urbaine au cœur du pays cadien : Lafayette. Ici la francophonie se retrouve à chaque coin de rue. Il n’en reste peut-être que les accents folkloriques mais l’âme des réfugiés du Saint-Laurent est si solidement ancrée dans ces cyprès centenaires. Le vent souffle, la mousse espagnole paraît flotter au-dessus de nos têtes, l’air est tendre, c’est l’occasion de retrouver de nouveaux compères sous un porche louisianais. Je me demande bien à combien va se terminer cette aventure, si elle se termine un jour. La brise louisianaise laisse la place aux confessions des uns et des autres, les bisous se transforment en hug, la bière locale accompagne le po’boy, le violon danse avec l’accordéon, les voix puissantes donnent des chills… Autour d’eux, ça monte sur les tables, ça parle football (américain of course). Malgré une ville un peu désertée, Lafayette laisse entrevoir très rapidement les charmes d’une Louisiane électrique où la vie semble toujours prendre le dessus sur le reste. Une nouvelle nuit citadine où il faut savoir se brosser les dents en vitesse entre deux patrouilles de flics et la matinée arrive bien assez tôt pour envier ceux qui ont pu se doucher et se laver les cheveux. Les convois se séparent selon l’odorat on dirait. Une acolyte louisianaise me suit et nous voilà partis à la conquête des bayous. Ce nom amérindien qui signifie « petite rivière » est bien trompeur… 

Me voilà au-dessus de Breaux Bridge, affolée par l’immensité du territoire que composent les bayous. Pas moyen qu’on m’en approche, vraiment pas moyen. C’est Jack et sa barque à moteur qui les fait voguer. Car sans guide, le bayou se révèle un labyrinthe de marais où la moindre erreur de navigation vous emmènerait droit dans la gueule de l’alligator. C’est étrange comment la nature réalise ses œuvres dans un mélange de beauté et de terreur. Il y a du mysticisme dans ce bayou, peut-être les reptiles effraient mais l’envol d’un héron majestueux à la frontière de l’eau enchante. Derrière ces arbres gigantesques qui floutent les frontières entre la rivière et le ciel, on pourrait apercevoir une sorcière vaudou prête à nous transformer en crapaud. 

Les vapeurs louisianaises leur seraient-elles montées au crâne ? Du vaudou maintenant !

On me harnache de grigris en tout genre et on part s’enfoncer en pays cadien à la découverte d’un autre bayou. Le temps d’une sieste sur un ponton qui ne mène à nul part, le soleil caresse la peau, bien au-dessus de l’eau et des prédateurs. Mais attention, la magie vaudou peut bel et bien exister, elle vous envoûtera si vous pénétrez trop loin ces terres marécageuses, les aiguilles tourneront trop vite et seuls les moustiques voraces pourront vous éveiller de vos songes moites. Les étoiles se reflètent déjà dans l’eau boueuse. À cet instant chaque bruit parcourant les feuillages des cyprès devient suspicieux, et on se fait peur sans être craintif… On est à la fois subjugué par le calme de ces eaux étoilées et inquiet par les esprits qui peuvent habiter les cimes… Et on ne parlera pas de ce qui ressemble à un tronc d’arbre flottant mais n’en est pas un.

Un ranger conciliant nous laisse dire un dernier et long au revoir à Chicot State Park, où attraction et répulsion nous enivrent. La campagne cajun nous ouvre dorénavant les bras. On retrouve un peu de Forest Gump, de son ami Bubba et des fameuses shrimps épicées. Notre passage se situe exactement entre le festival de musique cajun du week-end dernier et celui qui aura lieu dans deux jours… Comme si les habitants du coin trouvaient leur raison d’exister dans la préparation et la célébration de la culture cajun. Les violons qui ont trop chauffé sont réparés pour le prochain bal, les accordéons troués sont rafistolés pour la future danse endiablée. Cette musique où le français des côtes atlantiques se mélange aux rythmes du sud nous transporte à une autre époque. Comme si le temps s’arrêtait, qu’il fallait juste danser jusqu’à l’aube. Malgré l’accueil, la gentillesse, la générosité, la douceur, la sympathie, la chaleur des gens du sud, il faut reprendre la route vers le sud-est. Là-bas, on dit qu’il y a une ville delta, une ville entre terre et mer où le plus grand fleuve d’Amérique du Nord rencontre l’Océan qui joint plusieurs continents. Une ville où la nuit rayonne tellement que le jour se couvre d’une torpeur foudroyante. Une ville où les mystiques s’allient aux assoiffés pour célébrer… 

New-Orleans, Louisiana : NOLA

Tout le monde se retrouve et il y a de quoi faire des hugs, tellement de hugs qu’une nuit ne suffira pas pour en finir. 3 énormes chars, évidemment je suis la plus âgée, mais je ne dis rien. Et la bande se retrouve à 8.

Enfin huit, c’était sans compter Tremé. Tremé et Bertha et ses longs ongles… Bertha et son bar. Bertha et son open-bar. Bertha, son open bar et ses usagers. Bertha, son open-bar, ses usagers, et leur hospitalité. Et d’après ce que j’ai pu voir, s’en est suivi une de ces nuits dont on se souvient longtemps. Une de ces nuits folles où tout peut arriver, tout et n’importe quoi. Une nuit que seule NOLA semble permettre de vivre, des maudites fourmis rouges aux motos imposantes en passant par une piscine dans un garage désaffecté.

New-Orleans est une ville hautement singulière. Magnifique et charmante comme peu de villes américaines peuvent l’être. Elle possède un passé dramatique et continue de se battre contre le racisme, les ouragans, la corruption, la débauche (où le show décadent de Bourdon Street sent le vomi et l’urine, mais où la bière et les filles sont bon marchés). Comme toujours aux U.S.A. les disparités sociales se voient à vue d’œil et les ghettos miséreux sont livrés à eux-mêmes pour redresser l’échine. Katrina en sait quelque chose. 

Ici, l’architecture coloniale espagnole fait écarquiller les yeux, les noms français font sourire, et la culture amérindienne qui s’est mélangé à l’âme des africains fait battre la chamade à notre cœur.

Mais ce sont les membres de votre corps qui vous feront ressentir les pulsations vibrantes de Nouvelle-Orléans. Au moindre coin de rue, il y aura de la musique. Et au fur et à mesure que le soleil déclinera et que la nuit s’humidifiera de chaleur, les cuivres retentiront de plus belle. Et vous n’aurez pas d’autres choix que de danser, le jazz bien sur. Mais aussi un peu ce que vous voulez. Il y a comme un pacte que vous devez respecter à votre entrée dans NOLA, celui de savourer votre place. Que ce soit vos papilles qui découvrent l’alligator et le gumbo maison assaisonné de Tabasco ; ou bien vos oreilles qui se cuivrent ; ou encore vos pieds qui improvisent des pas maladroits ; quant à vos hanches elles n’auront d’autres choix que d’assumer la vérité. Nous sommes proches de la Caraïbe et la moiteur tropicale fait battre le cœur encore plus vite. Ou peut-être tombons-nous en amour tout simplement. Marie Laveau, la prêtresse vaudou nous aura jeté un sort. 

Quoiqu’il en soit, nous acceptons le sortilège et souhaitons ne plus jamais en être délivrés. Il faut repartir, chacun reprend sa route le cou rempli de colliers de perles en toc.

Cette fois le rétroviseur s’agrandit comme jamais, et Nouvelle-Orléans la mystique nous embrume la vue. New-Orleans, toi qui sais te plier face au plus dangereux des ouragans, et ce pour mieux ressurgir. Toi, qui appelles tes tramways desire. Toi, dont les morts sont accompagnés en fanfare. Toi, qui parais connaître plus que toute autre ville comment il faut célébrer la vie. Toi, dont les esprits des disparus dansent au gré de nos pas hasardeux. Ho, s’il te plait, retiens-nous ou si tu nous as assez vu, parsème un peu de ton essence de jouvence dans nos veines. Marque-nous pour qu’un jour nous revenions au pays, peut-être pour Mardi Gras et ses parades de chefs amérindiens.  

En attendant, nous allons laisser les bons temps rouler.

Belle route à vous les amis : Amélie, Lise, Lionel, Laure, Adeline et Daphné. Quant à Bertha, au ranger, et à tous les louisianais qui ont le sourire et le hello naturellement chaleureux : merci.